De quelle façon l'acte du travailleur social est-il traversé par la culture?

J’ai choisi de poser la question de la culture, en interrogeant comment notre inconscient qui est a la fois le plus intime et le plus ignore de chacun de nous, est lie au monde ou nous nous inscrivons.

 

Comment le collectif vient a inscrire sa marque dans notre intimité ?

 

1 - par le langage : ce n’est pas seulement le sujet individuel mais toute notre réalité qui est pétrie de langage : réalité politique, sociale, de l’éducation, de la régulation des liens entre les citoyens,les générations ou les êtres pris comme sexués


2 - par le biais de l’idéal du moi. (qui indique un idéal auquel nous aspirons et l’intériorisation des valeurs morales et éthiques transmises). Les pulsions condamnes sont refoulées les modalités de jouissance sont régies par les lois d’un temps et d’un lieu.(exemples l’homosexualité ,la virginité)…la loi essaie de réguler la jouissance mais il y a toujours des symptômes qui révèlent des jouissances rebelles aux régulations communes.

 

 

Une culture n’est pas une mais multiple .elle n’est pas homogène mais traversée de tensions et de contradictions entre les modalités des divers liens sociaux que Lacan nomme discours.

 

Il définit ces discours en partant des trois professions que freud disait impossibles :

 

gouverner > c’est le discours du maitre : ce discours commence dans notre culture avec les grecs .c’est la naissance d’un ordre fonde sur le droit et la notion de responsabilité

 

éduquer > c’est le discours de l’université ou le savoir est en position de maitrise qui souvent induit la technocratie.un savoir reste extérieur s’il n’est pas subjective. Une étudiante en psychologie me disait qu’on lui avait enseigne les « théories sexuelles infantiles » de Freud. Ces théories ne lui disaient rien jusqu’au jour ou elle a rêvé qu’une amie mettait au monde un enfant par la voie anale.

 

psychanalyser > c’est le discours du psychanalyste qui s’adresse au sujet de l’inconscient.

 

Lacan ajoute le discours de l’hystérique dont la fonction est de faire désirer et qu’il fait remonter a Socrate.on pourrait mettre de ce cote le discours de la science qui met en cause l’autorité de la parole du maitre et qui substitue aux textes sacres un texte nouveau toujours susceptible d’être remplacé par un autre texte.

 

Dans un second temps lacan introduit une variante (je dirais même une perversion) du discours du maitre : le discours du capitaliste qui présente l’objet de consommation comme une solution au malaise du désir.

 

Une société réalise en permanence un certain mode d’équilibre de la structure de ces discours, selon des dominantes susceptibles de changer.ces changements peuvent se faire par glissements progressifs vers des équilibres nouveaux, ou par des moments de rupture, de discontinuité.

 

Hannah Arendt rappelait que la politique inventée par les grecs n’était rien d’autre que la prise en compte de la nécessaire conflictualité de la pluralité des paroles, on pourrait dire de la mise en tension des différentes modalités de discours, des équilibres toujours conflictuels selon les temps les moments et les lieux.

 

   qu’il y ait des effets du discours capitaliste sur les subjectivités contemporaines est certain .ainsi l’apparition d’experts, de conseils, de cadres gestionnaires éloigne de plus en plus les acteurs décisionnaires des réalités de terrain et amoindrit les marges de manœuvre des professionnels du social . Mais ce que la psychanalyse nous a apporte c’est le fait qu’un discours n’a de portée qu’en tant qu’un sujet s’y prête.

 

On n’est pas sans agir sur ce dont on dépend.          

 

En effet

 

1 d’une part la clinique des premiers moments de la vie de l’enfant montre a quel point il y va d’un acte : les déterminations génétiques sociales ou médicales n’abolissent en rien la question de l’engagement du sujet ou de son refus.

 

2 d’autre part prenons l’exemple de jeunes d’origine étrangère pris entre leur culture d’origine qu’ils pensent devoir désavouer parce qu’elle se présente comme culture minorée et celle du pays d’accueil ou ils ont des difficultés a s’inscrire. Il y a de leur part des façons différentes de réagir : violences et passages a l’acte pour certains, affirmation exacerbée de leur identite comme l’intégrisme pour d’autres.quelques uns face aux discours qui les figent dans une exclusion ségrégative « ce ne sont pas des jeunes mais des racailles et des voyous » essaient de prendre position dans la langue comme l’énonce « laura » dans « l’esquive » film réalisé par abdellatif kechiche. En inventant une langue faite d’arabe, de verlan et de vieux français, Laura ne refusera pas la langue de l’autre, s’émerveillant devant marivaux.

 

A travers les piercings et les tags, le rap et le hip-hop, certains jeunes n’essaient-ils pas de nouer jouissance du corps et langage, d’introduire un renouvellement de la parole et de la sensibilité qui font bouger le système de représentations.

 

Notre identité n’est pas figée : elle est en mouvement. De plus, elle a plusieurs composantes :

 

--une dimension imaginaire, qui a trait a l’image que nous renvoie notre prochain et qui contribue au caractère paranoïaque de nos relations avec autrui

 

--une dimension symbolique qui est fonction des éléments de nos origines, de notre famille , de notre religion,de notre formation culturelle.

 

-une composante désirante, indue de nous même

 

-une composante symptomatique (qui est du registre libidinal ou pulsionnel), le symptôme étant pour chacun ce qui fait notre singularité.

 

 

Le malaise provoque par les migrations et les interpe-Netrations de culture est lie autant chez les migrants que chez ceux qui les reçoivent a l’incertitude ravivée.

 

Sur notre identité car notre identité nous échappe. Notre être ne peut pas être identifiable par un signifiant : le mot est différent de la chose. Être femme par exemple est différent pour chaque femme et se décline dans le temps : a l’adolescence, dans le rapport avec un homme, lors de l’expérience de la maternité , au moment de la ménopause.

 

Lorsque l’identité imaginaire est mise en cause par le Fait que les images proposees sont differentes des notres

 

Lorsque la langue parlee ou les coutumes proposees sont differentes des notres, lorsque les modalites de Jouissance specifique au lien social sont différentes des Nôtres : nous sommes forcemment destabilises.

 

Écarter les catégorisations nosographiques, raciales, sexistes est difficile car nos convictions et nos préjugés ferment notre écoute.

 

Le risque est :

 

soit de vouloir gommer les signifiants culturels et Familiaux, les éléments de l’histoire, de la religion, de la langue de l’autre (la question est de savoir ce que nous faisons de nos differences et non pas de les supprimer). Si les mecanismes de l’inconscint sont universels, les signifiants sont singuliers et relies à la culture de chacun, a ses references fondatrices, a ses mythes, a ses rites.

 

soit de le renvoyer à son origine tenue pour fixe et immuable, referee de maniere unique a la religion de ses ancetres. Certains vont meme jusqu'a rechercher pour chaque patient d’origine etrangere un therapeute de la meme langue, de la meme religion, qui le comprendrait comme dans son pays d’origine.

 

reconnaitre l’autre comme etranger sans l’obliger a gommer sa difference, peut lui permettre une ouverture aux nouvelles representations offertes par le pays d’accueil sans avoir a invalider la culture de ses parents. Ne faut-il pas pour cela consentir soi-meme a un ecart avec sa culture d’origine et dans sa culture d’origine ?

 

Au sens ou gilles deleuze ecrit : « un ecrivain ne melange pas une autre langue a la sienne, il taille dans

 

Sa langue une langue etrangere et qui ne preexiste pas »

 

pour s’ouvrir a la culture de l’autre, ne faut-il pas s’etre rapproche de ses propres signifiants, les avoir mis au travail.

 

L’exil est le nom d’une experience et d’une epreuve qui peuvent faire evenement ou trauma.evenement si cette experience de deplacement permet d’introduire un ecart avec sa culture d’origine sans se couper de celle-ci et d’accepter d’entrer au moins en partie dans la culture et les lois du pays d’accueil. Une part de la dimension traumatisante d’un evenement vient du fait qu’il n’a pas pu etre subjective, qu’il n’a pas pu etre pense.

 

Le travail social comporte une dimension d’acte. L’acte etant distinct de l’action et de l’activite. Il implique un engagement, fait appel a l’ethique. Il differe de la maitrise assignee par les decideurs aux praticiens du travail social.


Si parler est un acte, faire place a une parole, favoriser l’emergence d’une parole en privilegiant la dimension de l’enonciation, ne pas substituer ses propres signifiantsaux signifiants de l’autre c’est aussi un acte. Ouvrir l’enonce, leur demander ce qu’ils entendent dans ce qu’ils disent, permet que se deroulent les chaines associatives de la parole liberee.

 

Prenons l’exemple des mineurs etrangers isoles qui amenent les travailleurs sociaux a se positionner par rapport aux discours sur l’immigration.

 

En effet la prise en charge de ces mineurs s’inscrit au cœur des contradictions entre une logique de protection en leur faveur, notamment heritee de la convention internationale relative aux droits de l’enfant et une politique de penalisation de l’immigration clandestine.

 

Quand ils beneficient d’une prise en charge, les mineurs etrangers isoles sont accueillis dans des etablissements relevant de la protection de l’enfance. L’accueil variable d’un departement a l’autre selon la maniere dont les flux migratoires affectent chaque departement et selon les politiques administratives locales mises en place a leur intention.

 

Ces mineurs etrangers se voient contester leur minorite et les autorites judiciaires font couramment pratiquer une expertise medicale (examen osseux) pour determiner leur age.bien que la valeur scientifique soit critiquee en raison de sa faible fiabilite ( marge d’erreur de + ou =18 Mois), cet examen est determinant pour l’avenir du jeune et aboutit parfois a son expulsion.

 

Nous voyons la comment la question politique est au cœur de la pratique des travailleurs sociaux. Les discours ambiants sur l’immigration les traversent.

 

Resister a la commande sociale peut aboutir a des prises de risque de plus en plus importantes pour certains travailleurs sociaux. D’autres peuvent se replier sur des logiques administratives.

 

Il est possible parfois pour certains travailleurs sociaux d’introduire un espace dans cette commande : ils expliquent au dit mineur ce qui va se passer, le deposent devant le commissariat de police ou il sera libre d’y entrer ou pas.

 

Mais l’ideologie de la transparence peut pieger le travailleur social.

 

Accepter que tout ne passe pas par «  l’aveu  », ouvrir un espace de parole sans viser « la verite » (la verite a plus d’un visage), c’est privilegier la relation.

 

Le secret protege, il est impossible de decider a la place de l’autre le moment opportun pour le lever. La confiance n’est pas spontanee, elle se construit.

 

Certes le travailleur social est amene a apporter de l’aide. Mais au dela des prestations materielles, il favorise un espace ou la plainte est accueillie pour permettre a ces jeunes de cheminer et d’elaborer leur projet. Cela implique de faire taire ses propres ideaux ou la certitude sur ce qui est bon pour l’autre qui s’adresse a lui et de ne pas rabattre le sujet sur son etre de besoin. Il me parait important pour ces enfants et ces adolescents qui proviennent des violences de l’histoire, des violences de l’exil, qui ont une grande souffrance psychique, de pouvoir faire confiance dans leur capacite d’inventer une solution valable pour eux a un moment donne d’inventer leur mode singulier d’advenir dans ce nouveau pays.

 

 

L’histoire ne se réduit pas a la répétition ; l’inconscient est inventif et s’invente : « ce n’est pas du tout cuit », disait Lacan.

 

Rappelons nous « le discours de la servitude volontaire », écrit par etienne de la boetie au 16eme siècle. Ce texte n’a aujourd’hui rien perdu de sa force. La servitude des peuples est volontaire nous dit-il. Comment des hommes libres furent ils soumis au pouvoir d’un seul, interroge t il.

 

Si la societe se doit de permettre a chacun d’avoir des conditions de vie humaines, chaque etre humain a une dette symbolique : il est redevable envers la loi introduit par le langage et responsable comme sujet de la parole.

 

Parler, c’est participer d’une poétique qui transforme le monde autant qu’elle nous transforme, c’est renouveler le lien a ce qui nous a été transmis en le modifiant en fonction des aléas de notre vie et de notre désir, en ne restant pas captifs ni d’un texte ni d’une parole.

 

Kathy Saada